Il est 6h et tout le monde dort encore. Sauf moi.
C’est l’été, il fait déjà jour. J’attrape ma planche, ma pagaie. L’œil vague, la mèche de travers, un reste de bave séché au coin de la bouche. Charme matinal, me voilà.
Clés, voiture, plage. Un quart d’heure plus tard, je suis sur l’eau.
Le silence, la rade de Brest au levé du jour, les bateaux endormis. Quelques mouettes viennent chanter le soleil levant et moi, je touche la mer. Bonjour la mer.
À nous deux la mer.
Une heure à lui glisser sur le dos en douceur, à la brasser, à y tomber.
À m’y engouffrer toute entière et à en ressortir à chaque fois plus satisfaite de mon sort.
Retour à la maison. Salée, mouillée, je m’allonge sur mon lit. Et je les attends.
Je sais qu’ils ont été réveillés par le bruit de la porte lorsque je suis rentrée.
Les pas timides clapotent sur le parquet. Les têtes ébouriffées se glissent dans l’embrasure de la porte. Puis s’enfuient.
Ha ben non, ne partez pas ! Venez me sauter dessus, je n’attends que ça !
Ça clipe et ça clape vite fait pour revenir plus vite que ça n’était parti. Les gros câlins. Les « haaa » et les « hummm » pleins de tout. Les petites mains rondes comme des brioches qui touchent mes cheveux de mer.
Le tâter expert.
« T’as pris ta douche, maman ? »
« Non, j’ai été à la plage ».
Le bisous qui s’indigne : « mais t’es toute salée ! ».
« Je suis tombée dans la mer alors je me suis baignée, un peu ».
La rafale de « Pourquoi ?» s’abat sur moi. « Chuuuut ! Je veux mes câlins ! ».
Et j’ai mes câlins.
Puis tout ce monde-là se lave, moi comprise. Parce que j’ai du sel, j’ai de la mer. Je colle et j’ai froid. Alors je me douche. Chaud.
Il arrive avec cet air qu’il a quand il fait semblant d’être mécontent. « On ne s’est même pas dit bonjour ». Dans la buée de la salle de bain, je fais durer le bonjour sur ses lèvres. Le baiser dure, mais pas trop. Il faut nourrir et habiller les enfants. Quelle mère déposerait ses enfants à l’école, affamés et nus ? C’est vrai ça… On ne peut pas passer son temps à s’embrasser, mon amour.
Moi aussi, je veux prendre le temps d’un bon petit déjeuner, au calme. Avant d’aller travailler.
Voilà comment débuterait ma journée idéale.
La semaine dernière, avec un groupe d’amies, nous avons consacré une conversation intense et riche à répondre, chacune à nos manières, à cette question :
« De quoi ma journée idéale serait-elle faite ?»
Ça tombait bien, j’étais moi-même plongée depuis quelques jours dans une réflexion profonde sur le sujet.
Et si ma vie ressemblait à ma vie idéale ?
Si je mettais dans mon quotidien ce qui correspond, pour moi, à une vie de rêve, dès que je le peux ?
Je pensais à tout ça parce que j’ai tout quitté pour venir vivre dans le lieu de mes rêves. J’ai tout chamboulé pour devenir ma propre patronne.
Pour autant, ai-je l’impression de vivre la belle vie ?
Non.
Et j’ai d’abord pensé que c’était normal.
Ok la Bretagne c’est joli. Mais je ne peux pas passer mes journées à regarder un beau dolmen planté face à la mer en sirotant du cidre et en mangeant des complètes.
Ok, je suis à mon compte. Mais justement, pour que ça marche, je ne vais pas passer mes journées à m’amuser alors que j’ai un objectif de chiffre d’affaire à atteindre cette année. Et tout ça, tous ces efforts n’auront servi à rien si je n’y arrive pas.
Mouais…
Si je résume : j’ai changé de vie pour le plaisir de m’astreindre à une scrupuleuse austérité du quotidien.
Comprenez : ça se mérite, de changer de vie.
Ça se mérite, d’avoir la vie qu’on veut.
La vie idéale, ça se gagne dans la souffrance et la grisaille.
Bel héritage judéo chrétien. C’est beau, c’est traditionnel. Très classique. Baroque, même. Mais je n’y crois pas.
Je n’en veux plus.
J’ai donc dit « stop ». Puisqu’il était encore temps de le faire.
(Remarque : il est toujours temps de le faire. L’important c’est de se reprendre, et de préférence avant d’avoir atteint sa propre date d’expiration. Sinon là, j’avoue, c’est trop tard)
Ainsi confrontée de plein fouet à mon incroyable capacité à être chiante, j’ai décidé de me réinventer.
Me réinventer en fille vivante. En fille rayonnante. Et puis surtout hein : en fille heureuse. Sympa et relax.
Ouais. Parce que yen a marre des relous.
Et si c’était une question de recette idéale ?
J’ai fait le tri dans ce que j’avais sous la main.
J’avais tellement d’ingrédients pour faire de ma vie une vie de rêve que je ne savais plus par où commencer. Ne me restait plus qu’à inventer des recettes. Cuisiner tout ça.
Les choses que j’avais oublié de voir. Mêlées à tout ce que je prends tout de même le temps de savourer, en général. Les choses que je me refuse, par penchant inavoué pour l’auto flagellation et le masochisme (c’est la seule explication à mon avis). Et les choses que je peux avoir, mais que je réserve à la vie de vacances. À plus tard, au week end, à des cases bien définies…
Pourquoi ? (parce que je suis chiante, j’ai dit)
Puisque la plage est juste là : pourquoi attendre le week end ? Pourquoi attendre juillet ?
Puisque j’ai des livres partout : pourquoi attendre pour me cacher au fond de ma couette, seule ? Et lire un bon roman pendant une heure.
Puisque mon entreprise est là, avec moi dedans : pourquoi attendre d’avoir de bonnes nouvelles pour avoir la tête pleine de soleils et les yeux pleins d’étoiles ? Tout n’est pas fascinant, c’est vrai. Mais à part la prospection, la comptabilité et l’incertitude permanente, le reste est plus souvent enthousiasmant qu’embêtant.
Alors ?
Alors, avec mes copines, j’ai pris le temps de noter de quoi serait faite ma journée idéale. Sur des post its orange fluo. Et j’y ai tout mis. Au moins 40 post its pour dire ce que j’aimerais vivre dans ma journée idéale (et encore, j’ai pensé à d’autres choses depuis).
Waow.
Révélation.
Que ne fus-je point surprise de constater que 70% de ce que j’avais écrit pouvait aisément trouver sa place dans mon quotidien ?
Le reste ? Faisable au moins une fois par semaine. Ou une fois par vie (le tout c’est que ce soit faisable, hein).
Alors ! Qui c’est qui fait la tronche maintenant ?!
Hé bien pas moi. Non, fini.
Je n’en suis pas au stade de me lever à 6h du matin pour aller sur l’eau. Pas encore. J’y travaille (le secret serait de me coucher plus tôt, m’a-t-on dit. Je médite sur cette notion).
Si j’envisage de faire commencer ma journée idéale à 6h, c’est pour avoir le temps d’y mettre tout le reste (quoique… si je me couche à 20h, ça limite mes possibilités). J’ai d’autres versions, dans lesquelles je me réveille à 10h et où le reste de la maisonnée m’apporte le petit déjeuner au lit (avec même de l’orange pressée maison).
La suite de la journée idéale ?
J’écris.
Une opportunité se présente et, si elle se concrétise, va mettre un soleil monumental dans ma vie professionnelle. En attendant, le simple fait de l’avoir entrevue fait battre mon cœur. Y incruste un espoir qui me porte toute entière pour la journée, et même plusieurs semaines.
Pendant ce temps, j’avance sur mon travail. Je construis, j’imagine. J’en parle, je le propose. Je le partage. Je fais vivre mon ambition. Je mets de l’huile dans ses rouages pour qu’elle ait toute sa souplesse et qu’elle bouge.
Je prends le temps d’un vrai déjeuner avec quelqu’un qui compte. Le temps de manger pour le plaisir et pour être ensemble.
Je rencontre quelqu’un de nouveau. Avec qui j’apprends des choses nouvelles.
Je ris avec un(e) ami(e).
Je m’assure de voir la mer au croisement des rues. A l’aller, au retour. Au tournant. La mer partout. Comme je l’avais rêvée.
J’appelle quelqu’un que j’aime et qui est loin d’ici.
Je trépigne en allant chercher mes enfants. Impatiente de leur compagnie. Affamée d’eux. Et je passe un vrai moment avec eux. Pas de téléphone. Aucun écran, quel qu’il soit.
Leurs mots pour me dire leurs journées. Leurs voix et leur langage approximatif. Leurs blagues et leurs yeux coquins. Leurs jeux de cache-cache quand il rentre, à son tour.
Et je prends le temps de le regarder. Pas d’écran avec lui non plus. Juste nous. Pour que je lui raconte la journée idéale que je viens de passer. Pour l’écouter me dire la sienne, idéale ou pas. Pour être présente à notre vie.
Et puis le repas (dans l’idéal : au restaurant, avec nos amis. Puisque, tout à l’écoute des uns et des autres, nous n’avons pas eu le temps de cuisiner). Un bon roman dans lequel je m’évade. Un bain moussant, un massage. Et bien entendu, du sexe. Le tout, pas forcément dans cet ordre.
Et pour finir cette journée parfaite, cette phrase parfaitement parfaite de mon mari :
« Chérie, tu devrais aller te coucher maintenant parce que demain nous nous levons aux aurores : surprise ! Nous prenons le premier avion pour New York ! »
Cette partie est la plus fictive de toutes : notamment parce que mon mari ne m’appelle jamais « Chérie ».
Mais notez que, à mon avis, tout scenario idéal doit contenir un séjour à New York (ou à la Nouvelle Orléans) (à la limite, Londres fait très bien l’affaire).
Pas si sorcier, de vivre une journée idéale, finalement.
Je n’avais jamais remarqué.
Je n’avais pas vraiment essayé. J’avais réservé des cases, pour les journées idéales : les anniversaires, les jours fériés, les vacances.
Aujourd’hui j’ai pour projet d’élargir la case à l’échelle de ma vie. Du quotidien.
Et j’y mets mon idéal.
Par portions, ou totalement.
Autant que je peux.
Mais au moins un petit peu.
Il y a des jours où j’aurais davantage de place pour l’idéal que d’autres. Ça dépend du travail, ça dépend de la vie (NB : le lever à 6h pour aller sur l’eau, en plein hiver, ça sera sans moi. Ce n’est pas grave : je remplacerai par du yoga).
Mais j’ai ma liste d’idéaux et je veux pouvoir en piocher un par jour, au minimum. Et le vivre.
Aujourd’hui j’ai pensé à ça. Demain j’aurai sans doute une autre idée de la journée idéale. Mon idéal est comme moi : il bouge, il change, il s’adapte. Mais il est là alors je l’écoute, pour voir ce que ça fait. Et je crois que ça fait du bien.
Ceci étant dit, je brûle de savoir :
Et vous, que mettriez-vous dans votre journée idéale ?
Rêvons ensemble !
Ma journée idéale commencerait par la lecture d’un de tes billets. A savourer comme un bonbon acidulé sur la langue…
Et puis lever la tête de mon ordi quand je bosse, contempler le magnifique paysage depuis ma maison, que j’ai rêvée et construite, en savourant ma chance d’être aussi ma propre patronne.
Et sauter à pieds joints dans ce changement de vie qui nous attend… En ayant accepté grâce à toi de dire « je ne sais pas » 😉
Merci ! 😉 Tiens je vais me la rajouter celle-là : construire la maison de nos rêves !
Déjà l’exercice est plaisant de se poser la question de quoi serait faite une journée idéale.
Alors je vais avouer un truc tout bête mais qui me fait le plus grand bien en ce moment (surtout quand il fait beau) : afin de récupérer les Crevettes, je ne reprends plus la voiture entre la crèche et le périscolaire. Je me gare à un endroit et fait le trajet à pied avec une des Crevettes pour rejoindre l’autre et nous regagnons ensuite ensemble la voiture. Un moment privilégié où l’on « discute » (entre guillemet parce que les conversations de Petite Crevette sont encore un peu bizarres) et prenons l’air ensemble ♥.
Très sympa ! je te pique l’idée 😉
J’ai fait il y a peu une liste de choses pour ne pas m’oublier totalement derrière le taf et la vie de famille:
Et j’ai fait une liste des choses que je vais faire dorénavant :
1/me prevoir une sortir culturelle une fois par mois voire une fois ts les mois et demi sur Paris
2/aller voir une expo a nantes toutes les deux semaines
3/booker des tickets pr une piece de theatre pr jorge et moi
4/faire ces cartes de voeux 2015 pr ma famille *mission accomplie en mars!*
5/ecrire des lettres manuscrites à mes proches
Moi j’ai mis : aller au cinéma une fois par mois ! Les lettres, je vais le rajouter, tiens !
C’que j’aime tes billets! Celui la me fait rêver, pas encore a ma journée idéale, mais au fait que c’est possible elle pourrait exister et tu m’en donnes quelques clés. Merci. Me reste à atteindre ton niveau de zenitude et je sens que jsuis pas loin!
Merci ! 😉 Je ne suis pas au top de la zénitude : d’où mon besoin de me prêter à ce genre d’exercice. Pour me recentrer sur ce qui fait du bien, et sur ce qui compte vraiment !
– Cuisiner avec les enfants
-écouter de la musique
– me faire les ongles ( tous les 15 jours)
– me faire un coin joli pour moi dans la maison
– mettre de jolies choses un peu partout ( jolis tissus, photos… )
Voilà… Un petit bout!
Encore merci…. MERCI
Merci à toi !
Je me suis remise à me faire les ongles ces temps-ci : ça a l’air de rien, mais ça compte !
Quelques idées comme ça :
au saut du lit, prendre le temps de respirer, peut-être de méditer un peu, pour bien apprécier cette journée qui commence.
prendre plus souvent le temps de lire
prendre le temps d’écrire
me fixer quelques objectifs réalistes et m’y tenir
reconnaître (et nommer, voire noter) ce qui m’arrive de bon, les petits moments de joie, en éprouver de la gratitude.
garder mon calme avec mon enfant quand ça dérape.
La liste pourrait continuer longtemps !
super liste ! merci pour ce partage Emilie !
Merci pour ce texte, et pour toutes les questions qu’il me fait me poser!
Je subis depuis plus d’un an un changement de vie volontaire.
Mais je le subis, je n’arrive pas à trouver les clés pour l’accepter enfin.
ça me fais du bien de te lire!
Et je vais certainement commencer cette liste de journée idéale, ce sera un bon début.
Merci