Je les regarde et je me demande.
Je me dis que je ne suis pas objective.
Et qu’ils sont magnifiques à regarder vivre.
Ils me montrent une nouvelle manière d’être frères et sœurs que je ne connaissais pas.
J’avais ma manière. Elle ne leur ressemble pas. Parce qu’ils ont la leur, qu’ils façonnent ensemble, sans prévenir personne. Ils l’expérimentent et la découvrent sur le tas, et nous aussi, avec eux.
Leur façon de former ce duo, si personnelle, tellement à eux, ne rend que plus belle celle qui était la mienne. La notre. Parce que je réalise combien elle était unique. À quel point encore aujourd’hui, nous aussi, nous avons notre style rien qu’à nous d’être nous deux.
Je les regarde et j’espère. Et puis je laisse faire : on verra bien.
Mais la question est là. Suspendue, quelque part entre ma raison et le fond de mon cœur :
Est-ce que l’amour restera ?
Est-ce que tu lui prendras encore la main sans raison. Comme s’il y avait urgence pour toi de montrer à tout le monde qu’elle est ta sœur à toi. Que le grand, c’est toi.
Parce que tu es fier de montrer qu’elle et toi, c’est un truc spécial. Et tu ne sais pas encore le dire, alors tu attrapes la petite main potelée qui se dérobe si rarement. Qui s’agrippe si souvent, qui en redemande.
Et quand tu sauras lui dire cette fierté, quand tu la comprendras : la lui diras-tu ?
Comprendra-t-elle tes angoisses ? Ta manière de cesser de respirer lorsqu’elle a les doigts bien trop près de l’embrasure de la porte, les pieds vraiment trop au bord de la marche.
Verra-t-elle que je suis obligée de te dire de la laisser se faire mal : parce qu’on ne pourra pas toujours la protéger de tout. Parce que TU ne pourras pas toujours la protéger.
C’est beau, comme tu endosses le rôle sans qu’on te l’ait demandé. Mais la laisseras-tu se faire mal en gardant cette vigilante distance ? Ces quelques centimètres, pas plus, qui te permettront de bondir, au cas où ?
Est-ce que tu remplaceras le rôle de sauveur par des preuves d’amour ?
Parce que l’aimer comme ça, oui, ça tu peux. J’aimerais bien.
La regarder comme ça, aussi. Ha ! Ces regards que vous vous envoyez à la face. Vous en avez cent, que vous avez imaginé l’un pour l’autre. Du plus tendre au plus agressif. Du plus doux au plus réprobateur.
Et l’embrasser sur le front qu’elle te colle à la bouche pour que tu comprennes que ce qu’elle veut : c’est son bisous du soir.
Te caresser les cheveux quand elle te voit triste.
L’appeler en hurlant quand tu vois quelque chose que tu veux absolument partager avec elle.
Appeler ton nom toutes les 5 minutes quand tu n’es pas là.
Est-ce que l’amour restera ?
Est-ce que le regard restera ?
L’embrasseras-tu encore sur le front ou auras-tu le courage de descendre jusqu’à la joue, même si, j’en conviens, c’est loin et qu’il faut se baisser ?
Auras-tu toujours ce talent pour le faire rire ?
Pour lui montrer que tout va bien et qu’il faut qu’il arrête de s’inquiéter pour tout ?
Pour lui apprendre les bêtises auxquelles il n’aura pas encore pensé.
Inventerez-vous des grimaces pour rendre la vie plus légère ?
Lui caressera-tu encore les cheveux quand il pleurera ?
Parce des larmes, il y en aura.
Continuerez-vous de chanter vos duos improbables ? Continueras-tu de finir les couplets qu’il invente ?
Continueras-tu de lui répéter 1000 fois les paroles avant de comprendre qu’elle fait exprès de les changer pour t’agacer ?
Auras-tu toujours envie de t’asseoir juste à côté de lui, pour manger en reproduisant ses gestes au centimètre près ? En riant toi-même de la mise en scène.
Continueras-tu de lui donner tout ce qu’elle veut dès que tu verras apparaître la moindre larme sur ses joues dorées ? Pour lui faire plaisir. Non, surtout, pour qu’elle ne pleure pas. Pour qu’elle n’ait pas mal. Jamais. Mais aussi parce que quand elle pleure, ça te casse les oreilles et que tu as peur d’être accusé d’être à l’origine de ses cris.
Est-ce que l’amour restera, pour que vous soyez ensemble pour toujours, où que vous soyez, quoi qu’il arrive ?
Pour qu’il vous reste ça de moi, quand je ne serai plus là : ce ventre dont vous partagez le secret. Ce nid d’origine qui est le vôtre. Où s’est scellé votre lien unique.
Ces parents qui vous ont choisis sans savoir mais en devinant déjà que là, il y aurait de l’amour.
Ces deux cœurs qui vous auront vus grandir ensemble. Suffiront-ils à faire le lien ?
Les garderez-vous, ces années où vous aurez grandi l’un à côté de l’autre ? Comme deux arbres aux racines mélées et qui déploient leurs branches, chacun à sa manière. Chacun à son rythme. Qui ne sont jamais bien loin l’un de l’autre. Et qui vivent leur vie, aussi.
Seras-tu là pour elle, seras-tu là pour lui ?
Surtout : est-ce que l’amour restera ?
Cet amour-là, oui. Le votre. Celui que vous avez inventé pour vous-même en vous inspirant l’un de l’autre. Et que je découvre avec délice, au hasard des regards que je vous lance lorsque vous jouez. Quand vous ne me voyez pas, trop occupés que vous êtes à vivre votre histoire.
Dans les ombres de la vie d’adulte, vous souviendrez-vous de ce réflexe que vous avez aujourd’hui lorsque, dans une situation nouvelle et sans repères, vous restez ensemble ?
Main dans la main. Parce quand vous ne savez pas vers où marcher, vous choisissez de faire vos pas ensemble. Pour pouvoir avancer quand même, mais en sécurité.
À vous observer, on dirait que vous êtes drôlement heureux. Parfois, vous-deux, ça vous suffit. Et ça vous aide à ouvrir les yeux sur le reste et à l’aborder avec la force de ceux qui se savent accompagnés.
S’il n’a plus personne, si elle n’a plus personne : se souviendront-ils qu’ils ne sont pas seuls ? Qu’il y a Lui et Elle ; qui sont liés pour toujours par un fil fragile et invisible. Ce fil que je ne peux pas rendre incassable. Mon seul pouvoir a été de les faire, de les mettre l’un à côté de l’autre, de regarder, et d’attendre.
À partir de là ils ont tout fait tous seuls.
Le feront-ils toujours ?
Est-ce que l’amour restera ?
source photo : expositions.bnf.fr
Bah c’est malin, de me faire pleurer en milieu d’après-midi… Je suis fille unique, alors je ne m’étais jamais trop posé la question. Même à l’arrivée de mes twins. Ils sont deux, c’est comme ça et c’est tout. Mais avec leur petite sœur, toutes ces petites attentions que tu décris si bien… Je ne sais pas, j’espère oui que l’amour restera, c’est tout…
J’espère, j’espère !!!
Ca fait pleurer mais ça donne envie de préparer un petit frère ou petite sœur pour mon Asticot… Merci !
Oui j’imagine 😉 C’est en pensant à ce lien éventuel que je voulais un deuxième !
très bel article …
Merci beaucoup Fanny !
Même si cet amour entier passe, il restera toujours ce lien tellement spécial. Je ne suis pas proche de mon frere mais dès que l’un de nous a un souci on sait vers qui se tourner.
Oui… ce lien unique. Qu’ils soient proches ou pas, on ne leur enlèvera jamais qu’ils viennent du même nid 😉
Oui l’amour restera j’en suis certaine, j’aime ma petite soeur tendrement, même si on « se plumait » beaucoup petites, j’espère que mon fils et sa future petite soeur seront ensemble dans le temps. Ton billet est magnifique
Merci beaucoup « Madame » 😉
Oui, on a beau s’entre-tuer enfant, ça n’empêche pas l’amour et le lien (heureusement)
C’est un texte magnifique !
Merci ma Zaza !!! Je sais que tu aimes les histoires de fratries 😉 c’est si beau de les regarder !
Tu as un don! C’est magnifique de savoir observer puis de trouver les mots pour retranscrire. Qu’est ce que j’aime cette façon que tu as de raconter tes enfants. Cet article est magnifique, bouleversant, brillant. Il m’a ému, il me fait un peu mal aussi.. Il n’y aura pas de numéro 2 pour moi, du moins pas du même papa, l’amour sera-t-il le même dans ce cas?
Hou ben dis donc, merci beaucoup Aurélie !
Je crois que l’amour peut être là quoi qu’il arrive. D’autant plus quand on est né de la même mère : la mère, c’est la première maison, c’est le lien le plus fort !
C’est très beau. J’aimerais ça aussi pour mes loustics. Chacun son histoire, ils forgeront aussi la leur. J’espère qu’elle sera forte et indestructible.
Oui, je crois qu’on rêve tous de ça. Il y a ce qu’on peut faire, et puis il y a surtout la vie qu’ils se font eux-même. Alors on croise les doigts pour qu’ils s’aiment LONGTEMPS !!!
Quand on est frère ou sœur, cela signifie que l’on est jamais seul(e). Qu’il y a toujours cette personne vers qui l’on peut se tourner. Celui ou celle qui sait, d’où l’on vient, qui nous a permis de devenir ceux que nous sommes, qui connaît nos faiblesses, nos forces, nos plaies, nos joies, nos cicatrices et nos peurs. Bref, il y a toujours cet autre, sur qui l’on peut compter, qui sera toujours là, juste à côté ou tapi dans l’ombre… Quand on est frère ou sœur, on est pas un, mais plusieurs et l’union…on le sait…fait la force.
Oh que c’est beau… je vois que je ne suis pas la seule à pleurer à cette lecture. Je suis blindée d’hormones mais visiblement y’a pas que ça !
Merci beaucoup 😉
Quel beau texte…
Merci 😉