En guise d’avant propos, je précise que ce billet, malgré son titre genré, ne revêt aucun caractère féministe (sauf à penser que partager des pensées bienveillantes pouvant tomber sous les yeux de gens qui sont des femmes serait en effet une démarche féministe).
En cela, ce qui suit s’adresse autant aux femmes qu’aux hommes.
Là.
Un souvenir intense.
Une sage-femme, manches retroussées, masque sur le visage, est penchée sur mon entre-jambes comme un peintre sur sa plus belle œuvre (j’enjolive cette scène qui fut en réalité un poil plus triviale), me hurlant : « Fâchez-vous Madame, allez ! », afin de motiver ma dernière once de force et de la diriger vers la poussée de la vie hors de moi. Un accouchement, quoi.
Et justement, il se trouve que j’ai appris à me fâcher, et que ce n’est pas si évident que ça.
« Fâchez-vous, Madame ! » : avec le ton ferme et sans appel de ceux qui tiennent la vie fragile entre leurs mains.
Ce « fâchez-vous » qui devait me servir à pousser plus fort que jamais, plus fort qu’on ne peut l’imaginer.
Et quand j’y pense, il vient très à propos ce « fâchez-vous » : lorsque la péridurale n’a pas marché et sachant que le périmètre crânien d’un nouveau-né est de 34 cm en moyenne (je viens d’aller vérifier sur Doctissimo : tout ce que j’écris est scientifiquement documenté, vous savez).
C’était « fâchez-vous » comme pour dire que la vie ne viendrait pas toute seule. Qu’il faudrait cette poussée d’indignation pour l’amener là où je le voulais : là où la vie prend un nouveau tour plus possible. Comme pour m’inviter à être plus forte que je ne pensais l’être : aussi forte que je pouvais l’être, du coup, finalement.
Comme s’il fallait se fâcher un bon coup pour pouvoir vivre, ou survivre, parfois. Pour se rencontrer. Au bon moment. Et avant (ou au lieu) que tout parte mal.
Vous savez quoi ? Maintenant que j’y songe, je suis d’accord : fâchez-vous. Fâchons-nous.
Se fâcher c’est laisser s’exprimer la révolte
Et se révolter : c’est se réveiller.
Comme un peuple affamé qui découvre qu’il a le droit d’exiger son minimum de dignité.
Comme un peuple opprimé qui se souvient que sa voix compte et qui se soulève pour la faire entendre.
Se révolter, c’est donc tout l’inverse d’accepter.
L’être humain est fort, résilient, résistant. Et c’est tant mieux : nous en avons bien besoin.
Sauf qu’à grands coups d’acceptation de choses « pas si graves » ou « pas vitales », nous dormons. La plupart du temps nous avons de la chance : cela ne va pas jusqu’à la famine ou l’oppression. Et donc justement, nous acceptons plus facilement puisque « ça va, ce n’est pas vital », vous comprenez.
Nous stagnons, campés sur ce que la vie nous propose, en somnolant, dans le meilleur des cas. En souffrant, le reste du temps. La souffrance c’est de vivre ce qui ne nous convient pas mais d’en être devenu complice à un moment, je ne sais pas où.
Je clarifie une chose : nous ne sommes pas responsables lorsque quelqu’un nous heurte, nous fait du mal, ou pire, nous violente de quelque manière que ce soit.
Parfois nous subissons sans avoir le pouvoir d’agir.
De tout temps, il nous est permis de nous fâcher : comme pour rappeler que nous méritons autre chose de bien mieux que ça.
Se fâcher, c’est faire place à ce que nous sommes, dans une vie qui y correspond
Se fâcher c’est comme dire « non » : c’est refuser.
Se fâcher c’est donc dire « je refuse, après tous les espoirs, l’attente et la mise à disposition de mon corps, que ce bébé reste bloqué là : lui et moi méritons mieux que ça. Lui et moi méritons de vivre (bordel !) »
C’est dire « non » à une souffrance qui prend trop de place : en lui signifiant que nous allons la pulvériser. La plus forte, c’est pas toi : c’est moi.
C’est dire non à ce qui est hors des valeurs que nous voulons exprimer dans ce monde, dans notre vie : c’est donc dire « non » à un ami facilement raciste, c’est dire « non » à un travail parce qu’il ne permettra en aucun cas le respect de nos valeurs.
Ça peut même commencer avec des choses toutes bêtes : comme lorsque j’apprends à me dire « non » à moi-même si je traine tard le soir alors que je sais très bien que je suis épuisée, que dans ces cas-là je suis morose, et que je gagnerais grandement à me coucher plus tôt.
C’est dire « non » à des relations dans lesquelles nous vivons trop peu ou trop mal : parce que tout le monde ne vous connaît pas si bien que ça, ni ne vous comprends, ni ne partage suffisamment de ce qui compte pour vous. Pire : tout le monde ne trouve pas si important de vous respecter. Dans ce cas-là, moi, j’ai fini par apprendre à le voir, puis à le refuser.
Refusons, histoire de nous expliquer à nous-même que notre vie est bien plus précieuse que ça (et nous aussi).
C’est dire « non » à ce qui ne ressemble pas à ce que nous voulons vivre, ni au monde dans lequel nous souhaitons le vivre, et qui donc : nous fait perdre énormément de temps et d’énergie.
De fait, dire « non », c’est exister.
J’observe qu’il est très à la mode d’apprendre à dire « non ».
Quand les gens m’en parlent (dans mon travail, car nous apprenons à dire « non »; et ce n’est pas si simple), je les interroge : pourquoi est-ce aussi important de dire « non », d’abord ?
Je leur suggère alors que sans doute, dire « non » est si important parce que c’est en le disant que nous nous sommes construits en tant que personnes.
C’était aux alentours de nos deux ans.
On appelle ça le « terrible two » (moi je l’ai appelé « ARRRRRRGGHHHHHH putain de merde ! », quand j’ai été mère, à mon tour, de deux enfants successifs ayant eu 2 ans).
Et tous les médecins nous le disent : dire « non », c’est ce que le bébé se met à faire le jour où il découvre qu’il est un être à part entière. Il n’est pas sa mère, pas son père. Il n’est pas non plus Vador, le gros chien du voisin (qui fait des guilis quand il lèche).
Il est lui, et il existe. Et c’est en disant « Non » qu’il nous l’apprend, tout en se le confirmant à lui même. C’est hyper important.
On apprend ensuite la vie en société, qui amène avec elle : le compromis, l’adaptation, le respect de l’autre.
Qui amènent avec eux une foule de codes dans lesquels, au bout du compte, on s’oublie parfois. Pas toujours, heureusement : la vie en société, et savoir en jouer le jeu, c’est aussi ce qui nous permet d’avancer et de vivre.
Sauf si c’est au détriment de nous-mêmes. Sauf si c’est pour arrêter de se fâcher là où nous aurions pu le faire.
Nous ne devons rien d’autre au monde que lui apporter ce que nous sommes, tels que nous le sommes. Tout en respectant ce que les autres sont, autour de nous. Elle est là, la richesse de toutes les merveilles dont nous sommes capables.
Alors moi j’ai appris à me fâcher : parce qu’indignée de tout ce qui n’était pas moi, j’ai ainsi pu commencer à bâtir une vie digne de tout ce que je suis.
Et je ne vais pas vous mentir : c’est un méga kif.
Oui mais techniquement, ça veut dire quoi « fâchez-vous » ?
« Fâchez-vous », ça veut dire faire entendre qui vous êtes.
Nul besoin de piquer une crise. Ni d’agresser tout le monde.
Le « fâchez-vous, Madame !», qui peut être usité également par les hommes, donc, est l’indignation qui vibre à l’intérieur de vous.
C’est un art de vivre dans lequel vous apprenez à identifier ce que vous refusez pour vous et pour votre vie. C’est une pratique qui consiste à apprendre à vous rebiffer de tout ce qui tombe à côté de votre vérité à vous : et de le laisser s’échouer dans l’indifférence. Dans les oubliettes d’une vie dans laquelle vous auriez nourri beaucoup de colère et/ou de fatigue.
C’est passer votre chemin en direction de l’édifice que vous construisez et qui est fait de tout ce qui, pour vous, a du sens : en respect de votre nature, de vos valeurs les plus profondes, et de votre personnalité unique.
Car oui, vous êtes unique.
Alors fâchez-vous.
On ne va pas se fâcher quand même ?!
Hé bien non.
Car l’objectif du « Fâchez-vous, Madame !» est, justement, de ne plus vous fâcher.
D’une part, « fâchez-vous, Madame ! » c’est mettre une philosophie de douceur dans votre manière d’attraper ce que la vie vous tend, pour le vivre bien.
Donc, même s’il est l’expression d’une colère intérieure, le « fâchez-vous » se porte mieux de sortir le plus en douceur possible, avec le plus de respect possible (puisqu’il vous sert à bâtir du respect pour vous-même).
Parfois il sera difficile d’être sereins dans le « fâchez-vous », c’est humain.
S’entrainer au « Fâchez-vous, Madame ! » vous permettra d’acquérir suffisamment d’aisance pour apprendre à vous offusquer des choses graves ; et à laisser filer les choses qui n’en valent pas la peine. Et la douceur viendra, en tout cas moi j’y crois.
« Fâchez-vous, Madame ! » sert donc à se fâcher le moins possible.
Il s’agit d’un élan ponctuel. Un accélérateur de destin, en mode coup de pouce.
C’est pour cette raison que je n’ai pas continué à pousser très fort, tout le temps, pour expulser des bébés hors de moi-même une fois que j’eus fini de me fâcher. Imaginez : ça n’a pas de sens (mais c’est assez drôle comme image, je dois dire). On se fâche un coup, puis on passe à la suite.
Et n’ayez crainte : il vaut mieux exprimer ce qui ne va pas, pour vous, même si vous vous trompez. Même s’il n’y avait pas de mal, même si tout allait bien. Le dire et rétablir la vérité est bien mieux que de continuer de croire que quelque chose clochait, et de laisser cette idée peser comme une enclume sur votre conscience. « Fâchez-vous, Madame », sert à alléger votre vie.
J’ai eu 30 ans, j’ai eu des enfants, j’ai pris un coup de vieux, j’ai 48 cheveux blancs. Allez savoir !
En tout cas, j’ai décidé que je me devais d’incarner ce que je prônais : vivre mieux, vivre davantage, et en le faisant bien, avec plein de positif autour de moi.
Et puis j’en ai eu ma claque de me fâcher aussi. J’ai eu envie d’être moins souvent en colère, et plus souvent heureuse (même s’il m’arrive d’être en colère parfois ; mais il se trouve, aussi, que je suis heureuse)
Alors j’ai appris à me fâcher, à m’indigner.
Surtout : à refuser ce qui constitue, pour moi, de l’irrespect. Quelle qu’en soit la forme et la provenance.
Me fâcher un bon coup. Oui, « fâchez-vous, Madame ! ». Et puis pouvoir vivre des choses plus grandes et plus claires après : une fois que c’était fait.
Sans hurler, sans agresser, sans accuser : tout simplement, je dis « non » avant de devoir souffrir de ce qui est, ou de ce que j’aurais accepté par erreur.
Et j’existe.
À l’occasion, testez le « fâchez-vous, Madame !».
Comme pour donner la vie.
Comme pour accoucher de ce que vous voulez être.
Ou pour sortir des impasses que le destin vous propose afin de passer votre chemin et d’avancer vers la belle vie que vous méritez.
Un jour, vous verrez, vous n’aurez plus besoin de vous fâcher. Ce ne sera pas (plus ?) par résignation : ce sera de l’élévation.
M’ouai … je suis dans l’expectative en lisant ton billet.
Se fâcher, c’est se mettre en colère. Or, la colère est un manque de vocabulaire dit-on. Avec mes quelques longueurs d’avance temporelle, aujourd’hui je serais plutôt adepte du « lâcher-prise » que du « fâcher-crise ». Et je te promets que je ne dors pas. Oh, que non ! Je n’ai jamais été si … éveillé ! Le silence intérieur n’est pas le renoncement, que diable. Simplement, comme disait Christiane Singer : au fur et à mesure que ma vue baisse, une clarté neuve est devant mes yeux.
Cette autre façon de voir n’invalide en rien la tienne car, finalement, la vérité vraie ne serait-elle pas uniquement la nôtre au moment où nous l’utilisons ? Où pourrait-elle être ailleurs qu’en nous ?
Jean-Pierre.
Ha, moi je pensais que la colère était une émotion humaine toute naturelle 😉 il est des colères qui se disent avec un vocabulaire constructif, c’est d’ailleurs (en partie) mon métier 🙂 Je suis d’accord avec toi : à mon avis tu ne dors pas, loin de là ! Cette paix dont tu parles, je la vois comme le but du « fâchez-vous Madame », justement : trouver la paix. Merci beaucoup Jipé, pour ton commentaire encore une fois très riche !
Voilà c’est ça 🙂
Même âge, même valeur, même constat…
A presque 34 ans, j’apprends à dire non, me fâcher (tout doux encore ;-)).
Se fâcher tout doux, c’est le mieux je trouve : dire ce que tu refuses, sans agression, sans accuser la terre entière. Simplement : te faire respecter et te respecter toi-même. En arriver à ce « non » que tout le monde aime tant : quel bonheur 😉
Pour ma part, j’ai appris à dire non afin que mes « oui » soient de véritables « oui » !
Bien vu 😉 Moi aussi, je me suis entrainée, je continue. Au moins comme ça on sait que quand tu dis oui, tu es vraiment partante !!! 😉