La semaine dernière j’ai rencontré une jeune femme d’origine Roumaine.
Elle vit à Brest depuis 10 ans.
Elle est Française depuis 1 an.
De prime abord, elle s’est présentée ainsi : a commencé par parler de son activité, de sa thèse.
« Je suis Roumaine », a-t-elle ajouté ensuite. Illustrant cette information d’un accent doux. Un accent que je n’ai pas reconnu. Un goût d’Europe que je n’aurais pas su situer toute seule.
Une heure plus tard, alors qu’elle reprenait la parole, la jeune femme donne davantage de détails sur elle.
Sur son parcours professionnel, sur sa vie, sur son quotidien.
Puis ça lui revient.
« Je n’arrive pas encore à m’y faire », comme si elle le disait pour elle-même. Étonnée d’avoir pu oublier ça.
« Depuis un an j’ai la nationalité Française et dimanche je vote pour la première fois ».
Sa voix s’est éraillée, elle a rougi du bas du décolleté jusqu’en haut du front.
« Vous voyez, encore aujourd’hui, quand je réalise, je suis émue ».
Elle était belle, l’émotion de cette femme. Cette personne de mon âge, qui vit si près, qui vient de loin. Qui est Française, comme moi.
Je me sentais d’autant plus touchée par son émotion que moi aussi, dimanche dernier, je votais pour la première fois. À Brest.
J’étais émue, moi aussi. Contente. Tout à coup, je retrouvais la saveur de mon premier vote. L’excitation de cette époque où je suis devenue une citoyenne Française à part entière.
Mon premier vote, c’était en 2002. Oui, les fameuses Présidentielles de 2002.
Difficile de l’oublier…
Depuis, j’en ai séché des élections. Je ne vais pas faire croire que je suis meilleure que les autres. J’ai trouvé de bonnes excuses : un nouveau né, un week end en Normandie, un goûter chez Tata Germaine, pas envie de prendre le RER…
Pour nous inscrire sur les listes électorales à Brest, nous nous y sommes pris au dernier moment. Le 30 décembre.
Et la semaine dernière, à l’approche du vote, quelque chose de chaud me faisait vibrer du fond des tripes : j’avais hâte d’y aller.
Dimanche, sur le chemin du bureau de vote, affublée de ma poussette et de deux enfants se battant pour s’y asseoir, j’avais de nouveau 19 ans.
Je votais pour la première fois. J’étais fière. Le sourire aux lèvres, j’avais l’impression de faire partie de quelque chose de grand et d’important.
J’étais enfin, vraiment : chez moi.
Voter, c’est se dépatouiller avec des programmes trop optimistes et porteurs de fausses promesses. C’est essayer de se sentir concernée par des discours d’hommes et de femmes politiques dont j’ai l’impression qu’il ne savent pas ce que c’est d’être un vrai Français. D’être vous, moi, mes voisins : la population, le peuple, dans toute sa noblesse. Dans toute sa réalité. Dans toutes les difficultés de la vraie vie.
Oui, c’est vrai. Trouver la motivation pour voter aujourd’hui, c’est un travail.
Mais dimanche, j’avais le cœur léger.
Voter, dimanche, c’était dire « je suis ici chez moi ». C’était m’ancrer ici, participer, croire, vivre la vie d’ici. Et pour de vrai. C’était appartenir à quelque chose que j’avais tellement attendu.
C’était boucler la boucle.
Dimanche j’étais enfin une vraie brestoise.
Et j’ai compris. Je pouvais vivre ici, manger ici, côtoyer les gens d’ici et parler avec leur accent.
Mais voter, ma foi, ça voulait dire que j’étais installée pour de vrai.
Je faisais partie du truc.
J’ai repensé très fort à la jeune femme Roumano-Française. À son émotion et à sa joie de voter en tant que citoyenne Française.
Moi j’ai voté en tant que brestoise, et je me suis sentie si proche d’elle !
Depuis, dès que je tombe sur une émission radio ou télé qui parle des élections, j’éteins tout. Je coupe. Je m’en fiche. Je ne veux pas savoir.
Je ne veux pas savoir quels politiques posent, en conquérants du désespoir collectif, leurs grosses fesses flasques sur les valeurs de ma République. Profitant de notre désarrois et du désengagement politique français. Quand les gens ne veulent plus voter, ça ne veut pas dire qu’ils sont des imbéciles. Ça veut dire qu’il y a trop d’imbéciles. Qu’ils ne croient plus au mieux, au changement, aux solutions.
Je me fiche de tous ces gens qui se répandent sur les taux records d’abstention.
Parce qu’ils n’ont pas compris. Parce qu’ils sont en partie responsables. Parce qu’ils ne feront rien.
Parce que la France est triste et angoissée. Souvent révoltée. Merci les médias, merci les politiques.
Et moi, dimanche, je n’étais pas triste.
Parce que je vis ma citoyenneté au niveau de mon nombril.
Je vote pour des gens qui sans doute ne changeront rien. Mais je vote. Je fais quelque chose. Je suis là. Je suis chez moi et je fais ce que j’ai à faire. Voter c’est mon droit, c’est mon pouvoir. C’est mon devoir.
Les absents ont toujours tort. Alors moi j’y vais.
Un jour ça ira mieux, ou pas. J’aurais fait ce que je pouvais.
Je ne veux donner aucune leçon de civisme à qui que ce soit.
Je fais ce que je veux, les gens font ce qu’ils veulent. Qu’on me laisse faire ce que je veux ; je les laisse faire ce qu’ils veulent.
Tout ce que je sais, moi, c’est que j’ai été grisée par la fierté de l’acte de voter. Comme si ça n’avait jamais eu autant de sens. Moi et ma citoyenneté individualiste : ramenée à ma ville, à ma nouvelle vie et aux symboles qui vont avec. Moi et ma citoyenneté, ce dimanche, nous nous sommes retrouvées.
Et cette semaine, portée par l’ivresse de notre rencontre, j’attends avec impatiente de la retrouver. Fouler une fois de plus du pied le bureau de vote n°2, à Saint Pierre, et décliner fièrement mon identité. Mon identité de Brestoise. Mon identité de Française.
Dimanche, la Roumaine et la Brestoise voteront pour la deuxième fois.
Encore une fois, ces mots sonnent tellement juste en moi… Ce sentiment d’appartenir à quelque chose et de participer, d’exercer une action sur le cours des choses. Je me souviens de cette exaltation du premier vote, ce sentiment qu’on va pouvoir tout changer, enfin! Même si en réalité, ce n’est pas tout à fait ça… Bon vote dimanche prochain!
Bon dimanche !! J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce billet … Beaucoup de sincérité , de cœur , d’humanité et quelle simplicité pour évoquer avec des mots justes et clairs une réflexion actuelle que nous devrions toutes et tous avoir … Nous devrions oui … Et nos élus aussi devraient te lire ..,